mardi 5 novembre 2013

Discours au bord d’un lac sous la pluie ou est-ce le trottoir qui brille comme cela ?


 
Ne plantons pas le décor. Laissons-les faire.  
 
-          Avoir les mains libres, c’est quelque chose que j’aime bien.
-          Définis-le, voir ce que ça donne.
-          C’est trouver le moyen d’arrêter de croire la voix intérieure ou, mieux encore, de ne plus l’entendre.
-          Celle qui dit qu’un truc cloche ?
-          Oui, celle-là même, celle qui radote. Pourquoi faudrait-il toujours que quelque chose cloche ?  J’ai un boulot, un cul dispo et je paye même  mes impôts !
-          Je ne crois pas à la surprise : ce sont nos petits renards, retardataires, poils hérissés, sensibles à la misère.
-          Peux-tu préciser ?
-          Je ne sais pas : je lutte, je renvoie la balle et ça fait du boucan tout à l’intérieur de moi.
-          Ce vacarme, je le connais. Je sais ce qu’il dit ! C’est un renégat ! Tu vois, je suis là, perpétuellement aux bords de l’évanouissement, à essayer de faire comme tout le monde, que les étoiles brillent ! Mais je ne sais même pas qui elles sont, ce qu’elles représentent. Briller ?  On vogue seulement sur une esplanade bizarre, qui devrait en plus nous absoudre de toute mauvaise conjecture.
-          J’ai également beaucoup de mal. Mais il faut savoir endurer la chose. Elle fait partie du grand jeu de la vie terrestre. Et nous sommes ses joueurs.
-          Hallucinant !
-          Ô combien…
  

Trois pas mouillés, le silence éternuait sans excuse.

 -          Tu n’as vu ni la mort et ni l’enfer ?
-          Je ne saurai pas répondre à cette question. Mais j’ai sans doute eu droit à un avant-goût du second.
-          Une intermittence spectaculaire ?
-          Oui. Un éphémère spectacle d’épouvante, qui dura pourtant trop longtemps. La seule leçon retenue, au bas mot, est la suivante : tant que vouloir s’en sortir demeure quelque chose de possible, d’autres chapitres sauront prendre la relève.
-          Tant que vouloir s’en sortir demeure quelque chose de possible… C’est énorme !
-          Toutefois pas aussi énorme que s’en sortir effectivement.
 

Deux pas encore. L’enchaînement, ancestral, devint presque une chanson…

 -          J’ai parfois l’impression d’avoir oublié ma vie quelque part.
-          J’ai parfois la sensation que c’est elle qui m’a laissé tomber ! Je n’entends plus comme il faudrait, je respire les volutes bleutées pareillement à de l’air pur. Je choisis si arbitrairement que souvent je choisis mal.
-          Choisir, c’est déjà une prouesse, non ?
-          Une acrobatie, pour le moins pire des choix que tu puisses faire…
-          Ô, les terribles que nous sommes devenus !
-          Les temps effilochés sont la patrie de tous. Deviner l’entourloupe ferait de toi un demi-dieu.
-          Oui ? Mais je n’ai toutefois pas l’intention de me laisser faire !
-          Tu n’as pas l’intention de te laisser faire ?
-          Non ! ! Je n’ai pas l’intention de me laisser faire ! Car où irions-nous sinon ?
-          Je n’en ai aucune idée.
-          Alors pourquoi faut-il encore poser cette question ?
-          Peut-être n’as-tu pas encore envie de la vérité, à seule raison de trop bien la connaître. Peut-être est-il également normal qu’il y ait tant de misère en ce monde, trop nombreux que nous sommes à ne pas dominer notre propre tête !
-          Deux hypothèses ?
-          Deux fiascos.

 
Un instant, admirant un canard, là-bas, de l’autre côté du lac.  Un canard rugissant. Ou était-ce une femme, sous un parapluie aux drôles de couleurs ?  

-          Où passent les gens que l’on a aimés dans notre vie ? Que deviennent-ils ?
-          Ils disparaissent souvent. Et, je te l’accorde, ce n’est pas toujours très satisfaisant.
-          Je croyais ne plus avoir à craindre ce que je suis. Je me trompais ?
-          Bien sûr. 
-          Entre la quête du bonheur et la récolte incertaine des jours qui passent, aurai-je de nouveau le temps de me pencher un peu sur moi ?
-          Penche-toi jusqu’à la limite. Dépasse-la. Tu auras ta réponse…
-          Il n’existe pas d’alibi, selon toi ?
-          Je ne crois pas.
-          Je n’ai pourtant pas l’intention de me laisser faire. Je ne veux pas pactiser avec les mous ! Où sera l’aventure, si finalement je dis oui ?
-          A quoi bon dire oui ? Les morsures ne cesseront pas.
-          Effectivement…
-          Je suis comme toi, comme tous les autres : je ne saurai jamais vraiment ce que je vaux.
-          Devrions-nous seulement nous en inquiéter ? N’est-ce qu’une seule et même bizarrerie ?
-          Je ne puis dire, je n’ai pas très envie de conclure.
-          Pourquoi devrait-on conclure ? Nous parlons seulement d’un état d’être…
-          Oui, c’est bien de cela dont il s’agit. Etre Humain…

 
Du canard, on passa au coq. Bâté, viendrait peut-être l’âne…  

-          La France manque de jeu en profondeur. En outre, ils ne sont plus assez rapides !
-          Certes ! Mais enfin, leur imagination n’aurait-elle pas également foutu le camp ?
-          On ne saurait dire autrement !
-          Alors, sans Z, que nous reste-t-il ?
-          Des A, des B, des C…
-          Tant que cela ?
-          Cela n’est rien. Cela ne vaut plus une seule étoile.
-          L’étoile, que l’on perçoit au beau milieu des mines, sera-t-elle capable de détruire les ténèbres ?
-          Au moins, de les atténuer.   
-          Et la dernière d’entre elles, imperceptiblement évanouie…
-          La rêverie l’accompagne désormais.  
-          Faut-il pour autant laisser place à la grisaille ?
-          Si tu n’étais pas triste, alors seule la mort compterait.
-          Et les tentations font bien du mal aussi, n’est-ce pas ?
-          Très exactement…


 On regardait le sol, la terre humide, les flaques. Les reflets entrevus n’étaient que lendemains esquissés…

-          Je n’ai que trop commis d’erreurs ! J’ai certainement trop erré !
-          Oui, mais comme nous tous.
-          Tandis que s’enfuir ne marche pas !  Pas à coup sûr, en tous les cas?
-          Demande à l’étoile.
-          Je ne sais pas lui parler. Je n’ai peut-être jamais su. Mais de temps en temps, peut-être me comprend-elle un peu.
-          Je ne crois pas. Mais je ne suis sûr de rien…
-          Ce n’est pas drôle !
-          Console-toi : la faute revient toujours  à ceux qui savent tout !
-          Je sais si peu… Mais savoir, ça veut dire quoi exactement ?
-          C’est une supercherie, dont il ne faut jamais se satisfaire.  Alimente le puits, alimente toujours la racaille insoumise qui demeure en toi. Comme s’il n’y avait aucune autre chance…
-          La racaille insoumise qui demeure ?
-          C’est mon deuxième prénom.
-          Cela ne veut rien dire, non ?
-          Je dirai plutôt que cela vaut tout, tant que cela est insensé.
-          J’acquiesce. Je confirme même : je n’ai pas l’intention de me laisser faire !
-          Non ?
-          Non !
-          Vraiment ?
-          Oui, vraiment : je n’ai pas l’intention de me laisser faire !
-          C’est l’intention qui compte…

 
Le lac scintillait au couchant ; on se réchauffait sous l’abribus…  

-          Ferais-tu mieux que le vieil adage lui-même ?
-          Que faute avouée est à demi pardonnée ?
-          Celui-ci en vaut bien un autre.
-          Finalement, à qui crois-tu avoir à faire ?
-          Et toi, de quelle vertu te réclames-tu ?
-          Je signe le livre chaque matin.
-          En haut de la page ?
-          J’ai bien appris…
-          Et pourtant, tu n’as pas l’intention de te laisser faire, n’est-ce pas ?
-          Non, je n’ai pas l’intention de me laisser faire !
-          Ne souhaites jamais avoir à le répéter plus de trois fois.  
-          Pourquoi cela ?
-          Ce ne sont pas les entourages qu’il faut convaincre.  
-          Si mon âme doute, ma chair s’en ressent. Seule, que peut bien tenter ma chair ?
-          Elle peut agir. Elle peut succomber aussi.
-          Pour qui ? Pourquoi ? Au nom de qui ? Au nom de quoi ?
-          Quelles seraient les autres questions ?
-          Je te laisse soin de répondre par toi-même...
-          Aussi, je répondrai : toutes celles que nous n’avons pas encore posées.
-          Je n’aurai pas dit mieux. Et, comme voilà ma barque, sur l’instant je te quitte. Adieu, l’ami !
-          Adieu, l’ami… Et comme tu rames déjà, j’irai par l’autre rive, en espérant de nouveau croiser notre canard. Il avait fière allure, et si beau langage !

 
Les portes coulissantes se refermèrent en un souffle unique. A chacun le sien. Là aussi, le sol était mouillé. On devinait presque la terre dans la boue que faisaient les pas.

 La pluie cisaillait les vitres du transport en commun. Derrière chacune, maraudaient certainement deux vieux amis au bord d’un lac, où il faisait bon discourir sous la pluie, en regardant de loin, bien au calme, l’animation de la ville grise, devenue inoffensive, là-bas, où sans cesse et partout, beuglaient de bien moins jolis rugissants…