vendredi 21 juin 2013

ZEITGEIST - 1/7ème – Les mots


Ce texte n’est pas libre de droit.
Il a fait l’objet d’un dépôt à la SACEM, 
Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique.


ZEITGEIST


Merci de m’avoir donné la vue.
Et merci de m’avoir rendu aveugle, pour que je voie mieux encore.
Chant guerrier. Echolab – Higth Tone.


1/7ème  – Les mots

Tu as bientôt quarante ans. Tu fais le grand saut dans quelques mois.

Tu aimes les mots. Tu aimes les mots et la musique depuis toujours. Aussi loin que tu te souviennes, les deux sont indissociables dans le parcours qui te fait.

Tu ne peux pas situer exactement quand cela commence. Ni pourquoi. Cela commence, simplement. Et ne cessera jamais.


Si nous engageons par les mots, tu peux d’abord parler de toutes ces bandes-dessinées. Tu adores inconditionnellement Cornelius et Blutch, les  deux héros des Tuniques bleus. C’est dans les petites bulles que l’on apprend à aimer les histoires.

Les premiers livres, les premiers marqueurs, tu les lis avec passion, dans ta chambre, à Kourou, dans la maison des Amaryllis. Tu entends l’Atlantique guyanais respirer lorsque tu laisses la fenêtre ouverte. La clim fait le reste, le reste du temps.

Que ma joie demeure, de Jean Giono. Quelle était verte ma vallée, de Graham Greene. Marcel Pagnol, bien sûr. Une saison blanche et sèche, d’André Brink. Puis des livres plus ardus, assez vite, tirés de la bibliothèque de tes parents. L’un d’entre eux, Cellule 2455, de Caryl Chessman, te marque plus que les autres.

La vie d’un homme avant la mise à mort, dans le couloir du même nom. Un livre que tu n’oublieras jamais. Il t’emmènera indéniablement vers la littérature américaine contemporaine. Du maitre Léviathan, de Paul Auster, jusqu’à la poésie vitriol de Charles Bukowski, dont tu penses avec sincérité lire jusqu’au dernier des mots. Son ragoût du septuagénaire, les contes de sa folie ordinaire, ceux peut-être qui te toucheront le plus. Tant de poésie pour un seul homme !

Bukowski appellera John Fante, la sincérité de son chien stupide, le miracle désincarné de Demande à la poussière. La Trilogie des Confins, de Cormac McCarthy. Existe-t-il une plus belle littérature que celle-ci ? Tu collectionnes aussi les auteurs. De lui, tu liras tout.

Revenons à la littérature française, avec le Voyage au bout de la nuit, de Louis Ferdinand Céline. Tu lis ce livre sur le tard. Tu écris depuis longtemps. Avant de lire ce livre, tu ne sais pas qu’on peut faire ça avec les mots. Tu l’ignores. C’est une claque monumentale dans ta vie de lecteur.  

Tu ne cesseras jamais de lire. Tu as récemment partagé, sur ton réseau social, une très belle photo d’un livre empoussiéré, libéré par une paire de mains. Cela disait : ouvre un livre, c’est lui qui t’ouvrira.

Tout est dit. La voix interne est magique. Il faut la faire parler. Toujours.

Qu’en est-il de l’écriture ?

Tu peux avoir envie de parler de beaucoup de choses lorsque tu écris. Avant tout, en toute logique, de ce qui t’a simplement touché, dans le bien comme dans le mal, ou plus durablement réalisé, en prenant une part de toi que tu ne pourras plus reconquérir, en te donnant un fragment d’un sacré dont tu n’imaginais même pas qu’il puisse exister. Tu voudras parler de ce qui t’a blessé, détruit, émerveillé, changé à tout jamais.

Cela doit vouloir dire que vivre n’est pas une leçon facile. Qu’apprendre à accepter ce que nous sommes n’a rien d’un exercice aisé, tous funambules, arpentant les écumes sur les fils des vies que nous avons nous-mêmes façonnées.

L’écriture débute vraiment en quatrième, avec madame Piétri, au collège de Kourou.  Elle sème la première graine. Elle lit tes rédactions à toute la classe, peut-être une fois sur deux. Elle aime tes histoires. Elle les lit à tous les autres élèves. Tu es minuscule, complexé. Tu portes des lunettes. Mais ta prof de français te lit. Tu as ça pour toi.

De toute ta scolarité, personne ne te renverra jamais quelque chose d’aussi beau, y compris durant tes six années universitaires. Les mots sont intimes. Ils sont le profond de nous. Madame Piétri a peut-être deviné que tu aimeras raconter des histoires.

Elle te fait un merveilleux cadeau. Elle non plus, tu ne l’oublieras pas. Tu entendras longtemps le son de sa voix, le ton qu’elle emploie lorsqu’elle te lit, la chanson de son accent du sud qui perce de tes petits mots d’ado, l’air si épais de vos classes équatoriales.

Tu écris ton premier récit à vingt et ans, petit homme aux cheveux longs, qui raconte ton premier chagrin d’amour, une peine méritée. Tu trahis un ami pour cette fille, seulement quelques mois plus tôt.

Tu t’emportes, te laisses séduire par un sourire d’ange, des atours physiques indéniables.  Une attirance réciproque immédiate nait, à l’instant même où vous vous apercevez sur le quai de la gare d’Arcachon. Tu viens en vacances en couple. Estelle repart avant toi.  

Tu penseras encore longtemps à cette trahison, ta seule à ce jour en amitié, et à ce long coup de fil donné à l’homme que tu viens de trahir. Tu lui demanderas pardon. Il aura tellement mal, qu’il lui faudra six longues années pour te reparler.  

Parmi tous les mauvais choix que tu feras au cours de ta vie, il sera sans doute ton seul vrai regret : sacrifier une vieille amitié pour une romance longue d’à peine six mois.

Il y a des filles comme ça. Elle te quitte par lettre, une dizaine de lignes, qui arrive le jour même où elle doit te rejoindre, le temps d’un week-end. Fou amoureux, tu découvres sans ne rien comprendre, sans ne pouvoir y croire, une suite de mots annonçant la rupture. Elle te brise net. Ta mère va immédiatement t’acheter une cartouche de Lucky Strike.

L’écriture devient un exutoire, pendant plusieurs mois, presque tous les jours. Des diatribes, des envolées lyriques. Les espoirs d’un jour, toujours rattrapés par les obscurités, tes nuits devenues blanches, dans les incessantes fumées de cigarettes.

L’été 1996 se profile, alors que la douleur a bien du mal à s’estomper. Mais c’est le temps béni des vacances et du retour tant attendu chez toi, en Guyane. Tu pars sans avoir totalement validé ta licence, qu’il faudra obtenir aux rattrapages de septembre. Cela ne t’empêchera pas de faire beaucoup de conneries cet été là.

Durant ces deux mois, à Kourou, tu écris tes premières nouvelles, délaissant enfin les peines trop répétitives du récit du petit homme aux cheveux longs. Ton père n’habite plus les Amaryllis, mais au bord du lac, près du Glacier, à l’entrée de Monnerville. Il y a une grande terrasse, de l’air, des moustiques. Tu aimes bien. Mais ça pince furtivement le cœur, en l’évocation sous-jacente d’un quelque chose de ton histoire qui ne reviendra plus. 

Il n’existe pas de recette toute faite lorsque l’on a mal au ventre. La rage se transforme en excès, en ivresse. Tu fais la fête, rentres à pas d’heure, grisé, la plupart du temps. Le matin, au lieu de réviser tes cours de biochimie, les plus barbants que l’on puisse imaginer, tu regardes les JO de Marie-Jo et tu écris. Dans la mollesse d’un été sans amour, tu fais naître Sam, un jeune paumé héroïnomane, errant dans les rues.

Tu écris aussi les trois dernières briques, une inversion des rôles : à la fin de ses études, un fils abandonne sa famille. Il s’expatrie. Durant des années, il ne se soucie plus guère des siens. Il ne revient qu’à l’heure où son père s’en va. Sur son lit d’hôpital, ce dernier lui donne un héritage verbal si fort, que le fils, suffocant, doit détourner les yeux. Il regarde sa mère et, dans ses yeux à elle, voit finalement mourir le patriarche.

Lorsque tu fais lire ce texte à ton père, il te regarde un peu bizarrement, puis lâche d’une voix feutrée :

- Il me plaît ton texte, même s’il est un peu étrange. Pourquoi voulais-tu que je le lise ?

Tu ne lui réponds pas. L’été s’écoule en pente douce. Tu obtiens ton permis de conduire. Tu continues à faire la fête, à boire ; la bête ne se noie pas si facilement. Le temps est compté, il est une douce accélération vers un inévitable retour.

La dernière soirée, Xavier et toi jouez jusque tard au foot américain, sur les terrains de la Cocoteraie. Tu lui envoies des missiles ; les déracinés. L’Atlantique, derrière toi, n’est plus qu’une aventure opaque, sans nom.

Tu reviens à Limoges, alors que la ville est déjà engloutie par les pâles et grises lueurs de septembre. Tu détestes les automnes métropolitains.

Ton deuxième recueil, petits épisodes avec soi-même, voit le jour entre 1998 et 1999. Il matérialise la transition entre la vie universitaire, finalement si parfaite, et le monde du travail, une énigme qu’il faudra bien résoudre. Il deviendra aussi l’incarnation des choix amoureux que tu feras, dans tes maladresses habituelles.

Beaucoup de poésies, beaucoup de questions. Quelques bons textes. La chanson silencieuse, ta première récurrence en écriture, prend vie au cours de ce deuxième cheminement.

Tu écris ton premier conte à la même époque, en narrant la rencontre fatale de deux êtres d’exception : Nathan, un homme de bien, et Adréback, le dernier des dragons. L’idée de ce récit est venue d’une citation de Borgès que tu aimes beaucoup : il y a quelque chose de plus terrible et de plus merveilleux que d’être dévoré par un dragon, c’est d’être un dragon. Il y a quelque chose de plus étrange que d’être un dragon, c’est d’être un homme.

Lorsque tu fais la lecture d’Adréback à Claire, la magnifique, ton récit est un peu maladroit. Mais elle est touchée, et son sourire est merveilleux lorsqu’elle t’embrasse.

Tes choix, ton premier job, t’amènent à quitter Limoges au début du mois de juin 1999. Tu laisses une ville que tu n’as pas aimée, ton père, revenu chez toi tenter l’impossible, ta maman. Tout. Tu coupes tes cheveux, que tu as laissés pousser pendant sept ans. Tu écriras une belle lettre bien stupide à Claire, pour lui apprendre que votre histoire est terminée, elle aussi. 

Le 13 septembre de la même année, tu t’installes à Toulouse, rue des Lois, avec Mathilde, que tu viens de retrouver. Votre histoire ne marchera pas. Tu continues à écrire, tes pensées,  des nouvelles, des chroniques : attentat, ou comment un état transitoire peut conduire au passage à l’acte terroriste, la juste combinaison, cool police, Buko… Fragments et extraits de tes imperfections, tu cherches en eux des réponses à des questions que tu ne parviens même pas à formuler.

Puis ta vie bascule.

Tu vis, coup sur coup, les deux pires expériences de ton existence. En 2001, la sclérose en plaques de ton frère est diagnostiquée. En 2002,…

Tu écris à cette époque comme jamais, ta survie. Un livre surgit de ces ténèbres : le Supplice de Dieu. Trois cents feuillets. Tu n’iras pas au bout. Tu te perdras de bien d’autres manières.

Les années noires prennent fin en 2006, avec ce premier voyage en Corse, début mai, que tu entreprends en camion avec Much et Virginie. Le printemps resplendit et ses lumières confèrent à Bonifacio des atours de grande dame.

Vous devinez la Sardaigne en face de vous, depuis les forts et les canons. Instants de grande amitié, de paysages farouches, tu découvres, sur les marchés fleuris, le saucisson d’âne et l’amour des olives.

Tu prends ensuite la route du Portugal, avec Denis et David, vivre avec eux le premier trip surf de ta vie. Dix jours inoubliables, où vous découvrez la baie d’Arrifana, un bon deux mètres ce jour-là, et puis enfin Beliche, la dernière plage à l’extrême sud-ouest du continent européen, la plus belle vague que tu n’aies jamais surfée.

Comme une bonne surprise, vient enfin ce temps où tu ne cours plus après de vieilles chimères. Tu retournes au Portugal dans les grandes chaleurs du mois d’août, avec toute la bande des Psytawa, pour l’édition du Boom Festival, qui réunira plus de 40 000 tranceux, venus de toute l’Europe, du monde entier.  

Tu rencontres Marjorie là-bas. A l’instant où elle pose la tête sur tes genoux, ton cœur se met à battre la chamade. Ton cœur ne bat plus depuis quatre ans. Sophie et Ivan sont en face de toi lorsque cela se produit. Tu devines, dans leurs regards, la joie et la surprise qu’ils ressentent à te voir pareillement frémir. C’est la première fois depuis qu’ils te connaissent.

Vous vous aimez très vite, très fort. Vous vivez une vraie romance. Elle quitte tout pour te rejoindre, un an plus tard. En te donnant des responsabilités d’adulte, beaucoup d’amour, et puis enfin un fils, ce que tu as réalisé de mieux dans ta vie, elle fait de toi un homme accompli. Tout n’est pas rose. Mais enfin. Le ventre mou de l’âme s’est endormi. Les écrits s’estompent avec le temps.

Ton père meurt le 27 mai 2010.

Le 30 juin 2011, alors que tu assistes à Paris, avec Alex, à la représentation inoubliable de The Wall, jouée par un Roger Waters en très grande forme, ta mère effleure la mort elle-aussi.

Tu as vu la mort un an auparavant, en Guyane, dans la froide commissure ensanglantée des lèvres de ton père, fermées à tout jamais. Tu la revois dans les yeux de ta mère, une infinie terreur, ce premier juillet, lorsque tu la retrouves sur son lit d’hôpital. Elle frôle les abimes. Elle ne s’y laisse pas tomber.

En août, vous partez en Crète avec Marjorie et Ethan, qui galope déjà un peu partout. Vous avez besoin de souffler. Vous passez une merveilleuse semaine de vacances.  La mer de Lybie scintille. Ethan saute dans la piscine sans vous prévenir. Vous avez peur puis vous riez, avec les autres vacanciers, des exploits du petit casse-cou. Tout est calme.

Tout est calme, sauf en toi. Tu écris Matala. D’autres textes suivront bientôt, dont Amaryllis, une évocation du Kourou de ton adolescence. Tu crées ton blog d’écriture en septembre, une première, un cap à franchir : être lu.

La bête s’est réveillée. Elle a repris vie, au fond de ton ventre. Il va falloir la nourrir maintenant, l’alimenter, coûte que coûte.

En quelques mois à peine, tu fais basculer ta propre vie une seconde fois. Tout ce que tu as bâti durant dix ans, tout ce qui compte vraiment, tu le balayes. Tu le balayes d’un simple revers de la main. Un oui, plutôt qu’un non.  

Tu as besoin d’une réponse.

Tu l’obtiendras.


A l’heure où tu écris ces lignes, le printemps 2013 s’est oublié dans les pluies interminables. Ces dernières n’ont pas empêché l’éclaircie.

Tu as compris que les incroyables dragons de la vie terrestre ne se domptent pas. Tu as compris, sur la route de ton deuxième trip surf au Portugal, Mike à tes côtés, qu’il ne sert plus à rien de les chevaucher.

Il t’aura fallu presque quarante ans pour le reconnaître, mais tu le sais maintenant. Le dragon, c’est toi.

Tu as tant aimé au cours de ta vie. Tu t’es si souvent trompé, homme de bien. Tu écris depuis tout ce temps, depuis ces premières fois, au collège de Kourou, dans les classes de Madame Piétri, où, de tes simples mots, tu pouvais encore inventer dans tes rêveries toute la suite de l’Histoire.

Tu écris tous les jours aujourd’hui, le plus simplement du monde, simplement parce que tu aimes ça.

Le chemin au devant est une invention, où tout reste encore possible. Il suffit d’ouvrir les yeux, de respirer l’air de la Terre, de ressentir que le monde n’est pas seulement un sang qui hurle. 

Enfin.




2/7ème – La musique 




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A paraître prochainement. 


jeudi 13 juin 2013

ZEITGEIST


Ce texte n’est pas libre de droit.
Il a fait l’objet d’un dépôt à la SACEM, 
Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique.



ZEITGEIST


Merci de m’avoir donné la vue.
Et merci de m’avoir rendu aveugle, pour que je voie mieux encore.
Chant guerrier. Echolab – Higth Tone.


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A paraître prochainement.