mercredi 27 février 2013

The Wall




Nous arrivâmes dans la nuit médocaine de février qui nous accueillait dans ses plus parfaits atours d’hiver, un froid brumeux et humide. Il était 20h à peine passés, les enfants et moi venions d’avaler nos 4 heures de route dans une entente parfaite, en écoutant Placebo, notre inévitable référence commune lorsque nous étions tous les trois en périple, mais aussi Smashing Pumkings, Smooth ou le dernier album d’Archive.

Mon ami vint évidemment à notre rencontre lorsque je garai la voiture. Il embrassa les enfants, qui l’embrassèrent encore plus fort qu’il ne venait de le faire et puis il chercha mon regard, que je lui donnai bien volontiers, avant que nous nous prenions très longuement dans les bras l’un de l’autre. Cela faisait six mois que nous ne nous étions pas vus, un intermède dans une véritable éternité.  

Les enfants, irradiés de ce bonheur plein et franc qui les prenait immanquablement lorsqu’ils arrivaient ici, firent les fous jusqu’aux premiers pleurs d’épuisement et puis les pâtes et puis dodo. Une fois les enfants endormis, nous prîmes le temps de ne pas nous précipiter sur nos brûlants sujets à tous deux, et, buvant quelques verres de vins, nous préférâmes battre en retraite devant The Good, The Bad & The Ugly et les immortels hymnes d’Ennio Morricone. Une fois couché dans un lit aux mille et un contes passés, mes rêves ne furent qu’une seule et même lancinante chanson qui ne me quitta guère jusqu’aux premières lueurs de l’aube, m’irradiant de tout ce que le cœur devait bien rendre à l’âme, inéluctablement, aux heures où il n’y avait plus quiconque pour monter la garde.

Je me réveillai coupé en deux, pourtant dans la douceur des boucles blondes qui sautaient déjà partout, mais incapable encore de déterminer ce qui de moi demeurerait, et la place  que prendrait ce qui devrait partir. Tous les quatre, on joua bientôt au quatre vingt et un et chacun gagnait tour à tour. Le temps semblait doux et bon, mais la dissonance interne devint si forte que je finis par appeler ce magnétiseur que j’avais rencontré une fois déjà, exactement six mois auparavant, lors de mon dernier périple médocain. C’était un vieil homme incroyable, revenu d’entre les morts après un accident cérébral majeur, depuis handicapé mais qui passait sa vie à guérir les maux des autres. Lorsqu’il me vit, il me fit simplement asseoir dans le même fauteuil et il commença à faire tourner son pendule au dessus de ses planches médicales, tout en se frottant le bras. Il fit très vite la grimace.

- Vous vous êtes brûlé à l’intérieur en six mois, me dit-il sans détour, et maintenant il va falloir arrêter de fumer.
- Oui, lui-répondis-je, je sais, c’est exactement ce que j’ai accompli.

Alors il me donna des conseils et une marche à suivre. Il parlait de moi comme d’un livre ouvert et, au lieu de me faire pleurer, il me soulageait déjà. Il me garda presque une heure avec lui, toujours à m’ausculter par le biais de ses planches et de son pendule et il finit par me dire :  

- Tout le reste du corps est bon. Vous êtes solide et ça va aller.

Je repris la voiture et je n’allumai pas de cigarette cette fois-ci. Imani chantait dans la voiture, les voix des enfants qui l’accompagnaient offraient plus d’émotion encore que ne le faisait déjà son propre timbre et, le rebond des voix mêlés, les enfantines et celle de la grande dame, finissait toujours par aller se nicher au plus droit profond de votre propre moelle. Alors je me mis à chanter avec eux : « Take care of the One you love, take care of the One you need… Take care of of the One who needs you most, take care of the One you love… Et là, au bout de quelques minutes et d’un inévitable replay, il fut assez simple de lâcher prise.


Revenu à la maison et après un bon goûter, le soleil étant enfin de la partie, nous habillâmes chaudement les enfants après avoir établi la liste des courses indispensables à notre séjour, courses que nous entreprendrions à notre retour. Je pris la route de l’habitude mais mon ami m’indiqua un autre chemin. Nous quittâmes donc Soulac par le Nord et prîmes la route du Verdon. Au bout d’un nombre de kilomètres que nous garderons secret, il me fit tourner sur la gauche, un virage serré qui donnait immédiatement sur un chemin de terre défoncé.  Nous évitâmes bien des ornières mais pas toutes, et nous écrasâmes les deux voies ferrées jaunies par la rouille, avant de nous garer sur un parking de sable. Ces dunes m’étaient inconnues. En presque douze ans de Médoc, je n’étais jamais venu ici.

Je pris le ballon de foot dans le coffre de la voiture et les enfants déjà s’ébrouaient vers la côte. La lumière du ciel était de celle qu’on ne fréquente qu’en hiver, poreuse, dénuée de tout artifice. Une grande baie s’offrit bientôt à nos yeux et le phare de Cordouan perçait légèrement dans les brumes du large, le seul monument des hommes dans l’immensité.  Nous jouâmes tous les quatre au foot, sans ne s’intéresser immédiatement à l’objet de notre visite. Ce moment ne tarda pas.

- Je voulais te montrer cette vague, me dit mon ami. Elle est encore moins connue que celle du Petit Chemin. Tu vois ces rochers, et la digue brisée, là-bas, sur ta gauche ? Je l’ai appelée The Wall…

Deux pics fonctionnaient. Deux gauches, proches du rivage, à portée de main. Il était aisé d’en voir la mouvance, d’en deviner la force et d’en comprendre la courbe. Les pics étaient réguliers, formaient presque toujours au même endroit et la vague, une fois qu’elle s’était suffisamment rapprochée du bord, se jetait rapidement mais ne fermait pas. Elle ouvrait et suivait fidèlement le banc de sable. Une vague rapide et creuse, vierge de tout surfeur. Je regardais ainsi vivre le monde pendant plusieurs minutes et, parmi les rochers qui bordaient les écumes, je me rendis compte que j’avais envie d’aller à l’eau. Enfin, cela venait. Je souris à mon ami et lui dis simplement :

-          On revient là demain.

Il me rendit le même sourire et notre cause était entendue. Je pris 85 photos en deux heures. Les enfants, les vagues et les reflets que faisaient avec eux l’eau et la lumière du soleil. Puis je m’éloignai un instant du reste de la troupe et je me rapprochai de cette digue enfouie dans le sable et ravagée par les vagues qui venaient inlassablement se briser et exploser contre elle. Pour la première fois, mes yeux s’arrêtèrent longuement sur l’horizon. Je ne l’avais pas fui jusqu’alors, j’avais simplement laissé venir ce moment. Elle était là, ma Ligne et elle me renvoyait exactement ce qu’elle m’avait toujours renvoyé. Je lui appartenais, puisqu’il était si simple aujourd’hui de reconnaître que je m’étais toujours recherché en Elle, dans son immuable sérénité, au-delà des tempêtes qu’elle peut elle-même engendrer et faire croître, au-delà de ces hommes qui s’y soumettent, non par choix, mais parce que leur propre humanité les y conduit et les y pousse, parfois avec une ferveur inégalable. Si la tempête a son caractère propre, si, intrinsèquement, elle est violente et égoïste, elle n’est pas mauvaise pour autant. Elle n’en fait simplement qu’à sa tête et, lorsqu’elle se retire, il n’est bien que la Ligne qui demeure encore, telle qu’on l’avait laissée et, peut-être, telle qu’on l’avait perdue de vue.


Nous sommes rentrés et nous avons fait les courses. Un bon repas, un dessin animé. Cela fait plusieurs heures que tout le monde dort. Et voilà maintenant ce que je sais : demain, nous nous lèverons avec cette idée en tête. Il ne fera que froid au début de la journée mais le soleil peu à peu deviendra notre allié. Demain, les vents souffleront d’Est toute la journée et les coefficients seront de 99 le matin et de 96 le soir.  La houle, orientée Sud-ouest, oscillera entre 1m80 le matin et 1m20 en fin de journée et nous offrira des périodes de 13 à 16 secondes. Demain, la marée sera basse à 12h00 et haute à 18h11. Demain, nous profiterons donc de ce court temps d’après-midi légèrement réchauffé et de ces conditions stables pour reprendre cette même route du nord qui nous avait menés ce jour à cette baie où j’ai découvert The Wall. Sur la plage, nous ne rencontrerons personne et nous aurons enfilé nos combinaisons d’hiver près de la voiture, avant de fouler le sable froid. Nous porterons des gants, des chaussons et une cagoule et, accoutrés ainsi, nous ferons rire les enfants. Demain, je retrouverai la Ligne et, en Elle, les lignes surgiront. Demain, il existera encore quelque part sur la côte médocaine un peu de cet homme de bien, qui croyait sans doute que les grands rêves font les grands hommes, alors que ce sont les grands hommes qui bâtissent les grands rêves. Demain, nous surferons The Wall et, faisant face au soleil, à la Ligne et à ce que nous sommes, tout sera à sa place à cet instant.

mardi 12 février 2013

Jeux de Vienne





Nos vies enflées de rêves poussiéreux
Voici le jazz, entre enjeux

Pluie d’obus pour des enfants en armure
Une guitare devient le meilleur des flingues

Enfers verts toujours mieux que le gris
Du coton et des blues dans les soirs américains…

Chante Flamenco le récital des cœurs brûlés
L’avidité d’un soleil transperce la peau

Des arpèges cinglants résonnent dans la nuit
Débrident tous les infimes royaumes
Sous la voûte, les étoiles insoumises
Nous affranchissent d'imbuvables idiomes

Et ce timbre rugueux se mêle aux folklores
Dans la course, la révolte dorée…

La bombe enfin lâchée les engagés dansent
La musique endigue les balles
Ces mots qu’on tue d’une circonstance

Près d’une rivière parmi les hommes
Coule dans nos veines la romance ibérique
Nous étanchant sans faillir
D’une poésie électrique…





lundi 4 février 2013

Pour moi


Pour moi...
  



Ce n’est pas la qualité de cette photo qui compte. Elle fut prise avec un smartphone en roulant sur l’autoroute. Ce qui compte, c’est l’instant dont elle témoigne.

Ce matin là je me levai avant le jour. Je fus sur la route aux toutes premières lueurs de l’aube. Ce matin là était l’un de ceux qui porte en lui un caractère irrémédiable, en cela que la nuit emporterait avec elle les derniers vestiges d’un grand rêve. Ce matin là, se lever c’était avant tout ne pas rompre mais juste se lever.

Une cigarette à la bouche, mon sang gorgé de caféine, accompagné de Marylin Manson qui gueulait « nothing’s gonna change the world », je pris ainsi la route du Sud-est, déjà tant de fois parcourue qu’elle avait fini par devenir mienne.

Très loin, là où la Ligne réside, l’obscurité fut bientôt fragilisée, amoindrie. D’une pointe lumineuse d’abord discrète jailli en quelques minutes un feu, un volcan incandescent dont la lave embrasa progressivement tous les nuages du ciel, comme si vaincre les ténèbres ne pouvait être réalisé sans panache, sans éclat et sans une absolue conviction.  

Quand la lave du ciel fini par m’atteindre, je me laissai doucement aller à pleurer. Je pensais à toutes ces questions dont on ne veut parfois pas connaître les vraies réponses ou dont on croie trop hâtivement les avoir déjà obtenues.

Je voulus immortaliser ce moment. Ainsi, au prix d’une involontaire décélération massive et d’un écart déraisonnable, je fis une série de photos tout en continuant à rouler et je n’obtenus que ce seul cliché approximativement valable. C’est après avoir retravaillé les nuances et l’intensité des couleurs que l’appareil n’avait pas su capturer, que j’eus envie d’écrire quelques mots.

Ceux d’une histoire qui ne finira jamais, incessant apprentissage. Les grands rêves peuvent mourir, ceux qui les portent aussi. Mais il existait une autre fable dans la lave du ciel de ce matin là, car si la colère est un mauvais songe dont il faut se départir, il suffit parfois de se lever et d’ouvrir les yeux. Ce que me donna cette aube presque irréelle, c’était cela : la matérialité de demain et la possible survenance du Beau. Rien n’aurait mieux su me dire que le temps est avant tout ce que l’on décide de faire de lui.