mardi 28 août 2012

Ne vas pas trop loin...

Embouchure de l’Hérault, digue du Grau d’Agde.  Mercredi 22 août, 20h36.


Je fais face à l’Ouest. Le soleil vient de disparaître et le panorama n’offre plus que quelques vives traces orangées et violettes, là où une boule de feu s’imposait encore il y a à peine dix minutes. A l’Ouest, se porte le regard d’un crépuscule. L’aube, derrière moi, n’est qu’une pensée de plus.

Les touristes commencent à partir et me voilà ici dans la peau d’un nouveau résidant, assis sur ce banc de bois brun, en train d’écrire quelques lignes dans ce carnet de marque Hurley, cadeau que m’avait fait la vendeuse d’un magasin de fringues de skate, que j’avais copieusement dévalisé lors de mon deuxième voyage canadien de 2012.

Dans l’avion du retour, j’avais écrit une lettre d’amour, lettre que je n’ai jamais donnée, premiers mots que j’avais posés sur ledit carnet, avant de le laisser vierge de tout nouvel écrit durant plusieurs mois. Le temps s’enfuit et nous, avec lui, dans les machineries terrestres des êtres, des pairs et des impairs.

Devant moi, l’Hérault et ses dernières eaux claires et juste derrière, la salinité de la Méditerranée. Je ne sais jamais écrire « Méditerranée » ! Je fais systématiquement au moins une faute, voire deux, que le correcteur d’orthographe de Word se charge gentiment d’effacer. Mais il n’empêche : si je dois réécrire Méditerranée deux minutes plus tard, je ne manque pas de refaire une faute...

La nuit s’installe peu à peu et la lumière du jour couchant est très belle, presque surannée. A 14h au dessus de moi, deux avions ont laissé leurs traces qui se croisent pour former une croix rose saumon, alors que l’une d’entre elles se dilue déjà, pour s’éparpiller avec lenteur dans le ciel. Simple représentation, spectacle inlassable au regard.

A une dizaine de mètres à ma droite, deux frères aux cheveux couleur de jais,  sans doute âgés de 10 à 12 ans, jouent les prolongations à la pêche. Ils manient leurs cannes un peu gauchement mais ils ont vraiment l’air heureux. Leur complicité est cette évidence qui émane de leur gestuelle commune, de leurs petits rires contenus, enfin de cette lueur dans les yeux qu’ils partagent encore, dans les derniers sillons du jour.

Je n’ai jamais pu retourner à la Tamarissière, la deuxième rive de l’Hérault. Je n’en ai jamais eu la force. Sa digue et son phare rouge sont devenus un lieu d’exil, là où l’on a simplement laissé une part de soi. Rien n’est irrévocable cependant, car au-delà de la deuxième digue et de son phare, dominent les grands horizons de l’Ouest et tout ce que l’on décidera d’entreprendre avec eux.

Croissant de lune au dessus du phare, une mère vient de se poster juste à côté de moi, afin de prendre son fils en photo, son fils qui vient de décider unilatéralement qu’il était l’heure de se mettre à l’eau. Il est descendu prudemment de la digue et il a maintenant les pieds dans l’eau. Sa maman ne peut s’empêcher de réprimer la nécessaire consigne de prudence : « Ne vas pas trop loin, Thomas ! »  

Non, ne vas pas trop loin, fils… 

jeudi 23 août 2012

La maison de Marie-Claude

 Sur les hauteurs des golfs de Lacanau, maison de Marie-Claude.  Mardi 7 août, 16h.


C’est un vrai après-midi d’été. Le ciel est d’un bleu gris presque unanime, seulement colorié de blanc en quelques points épars dans la voûte. C’est l’heure de la sieste et j’entends les grillons chanter.


Forêts des landes, nous sommes cernés par les pins ; innervés par la chaleur du soleil, ils délivrent dans l’air une odeur inimitable, sous-jacente à la terre, empreinte d’une douce mélancolie. Nous sommes parcourus par tant de sentiments. Quels sont-ceux qui nous incarnent ? Lesquels incarnons-nous ?

Du vent de sud cet après-midi, peut-être sud-sud-ouest et la marée sur le début du remontant, lorsque je me promenais tout à l’heure sur le front de mer.

Lacanau Océan, une machine. Le Surf Pro débute ce week-end. Comme trop souvent en plein mois d’août, ils commenceront sans houle. Ce matin encore, persistait toutefois une ondulation résiduelle de 70 à 80 cm. J’ai regardé sur internet avant de prendre la décision d’aller surfer ou non. Il devait y avoir quelque chose comme 150 surfeurs à l’eau, à batailler ferme sur chaque pic, en espérant décrocher une glisse de quelques secondes. Je n’étais pas investi d’une grande motivation et à la vue de ces images, il ne m’a fallu qu’un court instant pour reconnaître que je ne pousserai pas l’aventure plus loin.

J’ai donc pris mon temps. J’ai bu des cafés, discuté un peu, fait quelques photos des enfants. Nous nous sommes baignés avec eux, moment toujours très récréatif. Nous les avons fait manger, puis j’ai lancé le barbecue (électrique, sic !!) et nous avons à notre tour pris notre repas. Une succession d’évènement simples, microscopiques, qui remplissent pourtant une demi-journée. Ainsi est le temps d’été ; une entente avec le moins vite. 

L’âme n’est pas toujours une alliée. Il faut parfois la contenir, la cercler et lui laisser le moins de prérogatives possibles. Car les vérités profondes ne se dévoilent pas à la baguette. Quelque soit les formes qu’elles peuvent revêtir, ce n’est pas la pensée qui leur dicte sa loi. Avec le temps, avec sincérité, elles s’imposent toujours d’elles-mêmes.

Les grands choix résident-ils dans la même demeure que les grands rêves ? Il n’y a aucune urgence à répondre à cette question. 

mercredi 15 août 2012

Pt. 2



Plage du Maroc, commune de Vensac, Médoc.  Lundi 6 août, 13h30.


Carnet d’été, journal de bords. Carnet de plages, d’une mer à un océan, d’une rive Est à une rive Ouest, ou comment (se) raconter les brefs moments d’une vie qui se retrouve en côtoyant les grands espaces, les embruns véritables et la ligne, derrière moi, là où cognent des vagues cassées par des vents mal orientés, la Ligne toujours là, pour entreprendre toujours ce même voyage, qui lie le regard à la part la plus sincère de l’âme.

Les enfants jouent et l’amour ne semble pas très loin.

« Qu’est-ce que tu fais, papa ? » vient de me demander mon fils, qui m’a regardé un instant dans les yeux, avant de s’éloigner de nouveau pour parcourir sans entrave les grandes distances de cette aire de jeu magique, en tirant sans cesse derrière lui sa mini-planche de morey, qu’il tient invariablement par l’extrémité du petit leash noir.

Et l’amour qui prend soin de nous autres, au-delà de tous ses maux, de toutes ses guerres inutiles et vaines, qui paraissent pourtant presque indispensables à la course de la vie.

Ici la vérité, ce n’est que se lever de très bonne heure le matin, juste au lever du jour, pour aller prendre la descendante juste après l’étale, lorsque le vent marin ne s’est pas encore tout à fait réveillé et que les courants de Soulac sont raisonnables. Ici la vérité, c’est faire l’amour debout à la va-vite dans une salle de bain qui ne ferme pas tout à fait, à la seule heure possible de la journée, donc en pleine nuit, lorsque tous les autres dorment enfin. Il ne faut pas chercher plus. Une trace zébrée dans le ciel, comme ce sentiment qui nous parcourt, qui nous échappe et qui finalement nous fait. Une ligne interne, encore une ligne, une constitution.

Les bunkers allemands sont, quant à eux, toujours là. Les sables médocains ne les ont pas encore vaincus, pas encore engloutis. La cime des êtres se révèle dans l’harmonie qu’ils sont parfois capables d’instaurer avec le monde, les hommes et toutes choses avec lesquelles ils interagissent.

La dune, les bunkers, le sable discipliné par les flots qui se retirent très vite aujourd’hui, une houle imparfaite, les enfants et leur petite planche, rose pour elle, bleue pour lui, et cette femme tout près d’eux, toujours à veiller. Voilà ce qu’offre la condition humaine du jour, sous un soleil frais, lumineux, officiant juste au dessus de moi, à 13h dans le ciel. C’est un don universel et simple, sans artifice, qui ne laisse aucune place au doute. Profitons-en !

dimanche 12 août 2012

Pt. 1


Plage du Grau d'Agde. Jeudi 26 juillet, fin d’après-midi.


Ecrire ce que l’on voit, plutôt que ce que l’on pense.

Juste en face de moi, alors que je suis allongé parmi la foule estivale, le long de ces côtes méditerranéennes dont je n’apprécie que mollement les plus hautes affluences saisonnières, est assis dans un fauteuil de plage de tissu blanc et bleu un homme d’une soixantaine d’années. Il a même probablement un peu plus que cela.

Il n’est pas beau. Il lit, me semble t-il, une banale revue « féminine » de circonstance, avec une petite moue permanente qui fait manifestement descendre sa bouche vers le bas, tout en la tirant un peu vers la gauche. Cela ne lui donne en aucun cas un air ridicule, mais plutôt une façon un peu austère de se présenter à nous. Cet homme est très bronzé, il porte bien sûr des lunettes de soleil, dont le rose légèrement foncé des verres doit apporter un certain confort à sa lecture. Son poignet gauche est orné d’une belle montre en argent qui brille par intermittence, en renvoyant vers les proches alentours les rayons de ce soleil de fin de journée.

Quelques minutes viennent de passer. Il ne doit plus faire aussi chaud que tout à l’heure, car l’homme vient d’enfiler un tee-shirt blanc crème, qui lui va d’ailleurs à merveille. Des nuages sont effectivement sortis de nulle part, sans doute en provenance des terres, et ont voilé le soleil. L’effet a été immédiat ; on ne ressent plus aussi nettement cette aisance épidermique propre aux chaudes expositions d’été.

Il est vrai qu’il ne fait plus aussi bon, mais nous sommes seulement sortis après 17h, lorsque les heures les plus torrides de la journée étaient derrière nous. Tout le monde a fait la sieste. Je me suis réveillé en premier et j’ai fumé quelques cigarettes sur la terrasse, cette dernière exposée plein ouest, alors envahie par la lumière et la chaleur de l’astre de feu. L’air était presque immobile mais de part le don d’une infime brise, il demeurait très doux à la peau. Le silence partiel du quartier, parfois interrompu par les pétarades d’une mobylette ou les bruits d’enfants jouant un peu plus loin,  nous ramenait parfaitement à la douce condition de cette journée d’été.

Le vieil homme en face de moi n’est pas venu seul. Il discute effectivement depuis peu avec son voisin, n’échangeant que brièvement avec lui mais d’un ton assez vif. Ce voisin, qui doit connaître le même âge que lui, porte également des lunettes de soleil et a lui aussi la peau très bronzée, presque noire. Pour seule variation, une casquette grise un peu sale orne de façon anachronique le sommet de son crâne. On dirait que les deux hommes, dont les deux femmes sont semblablement assises l’une à côté de l’autre dans les mêmes fauteuils de plage, sont d’une si vieille connivence que celle-ci pourrait presque se passer de mots. En tous les cas, de longs discours. Un regard, un geste, une petite phrase et tout est dit, tout est su. En les regardant, on ne peut s’empêcher de se poser quelques nécessaires questions d’usage : depuis combien de temps sont-ils amis ? Passent-ils depuis toujours leurs vacances ensemble en Méditerranée? Que n’ont-ils vécu jadis d’ineffable, que rien ni personne ne pourra jamais leur ôter ?

On ne sait pas et on ne saura de toute façon pas ce qui habite chacun d’eux, mais on devine une petite part de ce qui les anime collectivement, lorsqu’on les regarde et qu’ils entrent en lien l’un avec l’autre. C’est une scène anodine, parmi toutes celles jouées et répétées tout autour de moi, dans la densité humaine de cette vaste multitude en vacances, une somme infinie de possibilités. Toutes ces vies, dont certaines ont du être époustouflantes et d’autres, tout à fait banales.

Le vent a forci depuis quelques minutes. Il a balayé la ligne de nuages qui s’étaient installés au dessus des rivages, tel un chemin céleste inaccessible. Le soleil est réapparu, d’abord timidement, avec réserve et maintenant sans vaciller. On dirait qu’il est sûr de lui. Entre ciel et sable, il n’est ici plus question de sentiment. Seul le regard compte, et ce que l’on fait de lui.