lundi 19 septembre 2011

Sans ne trop laisser paraître


« Il n’y aura pas de victoire ce soir, ni de capitulation ! »

L’homme avait le visage blême et buriné, le nez aquilin sale bizarrement cassé en son exact centre, et sa bouche, dont la lèvre supérieure était bien plus étirée que l’inférieure, lui conférait un vague air de bouffonnerie, dont il savait ne jamais pouvoir se défaire complètement, même en des circonstances aussi désespérées que celle du jour, jour d’une parfaite impasse, où il n’y aurait sans doute rien d’autre à faire que mourir.

Les survivants, une maigre troupe abasourdie, plongée dans un inexorable silence, le regardaient distraitement, leurs mines patibulaires et résignées, de postures finalement adéquates. De la section initiale, composée à son origine de garçons au tempérament irréprochablement guerrier, à la réputation solide de combattants hors pairs, ne demeurait plus qu’une poignée d’hommes décontenancés et entièrement désabusés, soumis au poids d’une déroute collective totale. L’unique officier encore en vie s’apprêtait à reprendre la parole. Personne n’enviait sa place. Celui-ci pensait : « C’est à l’école militaire qu’on nous apprend à croire qu’il peut être glorieux de mourir en livrant bataille, au service de son pays, d’une patrie qui accepte si savamment le sacrifice de tout un tas de gens. Depuis un banc, face à l’instructeur et son tableau, ou devant l’oratoire, avec un beau micro et les honneurs de plusieurs drapeaux flottant au vent, il est aisé de penser cela. Mais ici ? Ici perdus au milieu de nul part, sans qu’il n’y ait plus personne pour assister au spectacle, sans les clameurs et le doux réconfort de visages emplis de reconnaissance et de compassion, ici alors, quelle gloire récolterons-nous ? Où seront inscrits nos noms si ce n’est dans la pierre d’un impossible oubli ? Qui rendra compte, au bout du compte, de ces si longs mois  de campagnes, de ces si nombreuses batailles victorieuses aujourd’hui devenues vaines, puisque nous n’y survivrons manifestement pas ? Avoir peur ne sert plus à rien et l’espoir ne nous est d’aucun secours. Ils savent comme moi ce qui les attend et il n’en demeure plus même un seul pour broncher. Nous avons choisi nos vies, pas cette vulgaire mort à venir... »

Cependant, lorsqu’il s’adressa aux soldats, d’une voix aussi courageusement convaincue que possible, insuffisamment toutefois pour qu’aucun d’eux ne soit dupe, il déclama : « Nous ne mourons pas en vain aujourd’hui ! Aujourd’hui a été décidé et fait partie d’un tout. Nous ne sommes pas là par hasard. Nous avons œuvré pour une cause et nous avons bien œuvré ! Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes, croyez-moi sur parole ! On s’en souviendra ! On se souviendra de nous en des termes élogieux qui sauront dire la vérité de notre force, de notre courage, de notre fureur au combat, de notre talent aux terribles jeux du massacre… » Il marqua une pause et finit par ajouter, presque malgré lui : « On se souviendra aussi de notre invincibilité... »

Après avoir lâché cela, il dû reprendre son souffle, à l’intérieur de lui, afin d’être capable de poursuivre : « Vous êtes ce qu’il y a de mieux dans cette armée, sachez-le. Pensez fort à tout ça à l’heure du dernier assaut et rappelez-vous que vos familles, vos épouses et vos mères connaissent de nous tout ce qui est bon et valable. Et c’est ça qui demeurera, c’est bien de cela dont elles se rappelleront. Vous continuerez d’exister en elles, fièrement, chaudement, et leur mémoire et leur cœur jamais ne sauront vous taire, ni vous oublier. Nous avons mené nos vies de soldats avec orgueil, en nous conduisant en hommes d’honneur. Aujourd’hui, tous ensemble, – à cet instant, il les considéra l’un après l’autre et tenta vainement d’intercepter un seul de leur regard – tous ensembles, nous arrivons au bout de notre histoire commune. Vous le savez n’est ce pas, Messieurs ?! »

Il refit le tour des hommes, quelques-uns avaient fini par lever les yeux vers lui. Il reprit alors, presque encouragé, et livra cette fois-ci la dernière salve : « Messieurs, vous le savez, n’est-ce pas, que ce n’est pas une pitrerie ?! Vous le savez, n’est-ce pas, que c’est à nous de conclure ? Vous le savez, n’est-ce pas, que c’est le dernier travail qu’il nous reste à accomplir ? Alors voilà, Messieurs, nous y sommes ! Nous y sommes presque… Et je voudrai que vous y pensiez tous, que vous en parliez même entre vous, avant tout à l’heure. Que vous parliez ensemble de tout ça, et de la manière dont tout ça doit finir. C’est ce qui reste à écrire de notre histoire, vous le savez maintenant. Alors, je vous en prie : soyez inspirés, Messieurs. Soyez inspirés… »

Il se tût. Il en avait assez dit, trop sans doute. Il ne savait pas. Il ne savait plus. Ce n’était de toute façon pas décisif. Il se retourna et regarda au loin à travers la fenêtre brisée de la fermette en ruine, au loin par delà la campagne grise et morne, vide, pour de nouveau entrapercevoir au fond de sa mémoire les épisodes heureux de son aventure, sa vie et ce qu’elle lui avait offert de savoureux et de bon, ses champs et leurs hauts blés, les monticules de terre noire qu’il avait retournés, son père qui, en un jour béni, après des années de discorde et d’incompréhension, lui avait enfin dit qu’il l’aimait, les frêles et douces épaules de sa femme et son rire un peu idiot qui lui avait toujours tellement plu, enfin sa fille du haut de son cinquième anniversaire qui approchait et qu’il ne verrait pas, le miracle incalculable de son regard lancé à la face d’un monde dont elle avait encore tout à apprendre mais qui, porté sur lui, offrait le reflet magique d’une inaltérable liaison, comme si l’exacte compréhension de tout ce qu’il y avait finalement à savoir était logé au fond de lui. Il tenta de figer toutes ces images mais le coup brutal d’un canon, injonction impardonnable, l’arracha de rêveries qui n’étaient que le cœur de son être. Il lui sembla alors que l’enfer venait de se réveiller.

Mais la quiétude se réinstalla aussitôt, sans que le charme qui l’avait investi quelques instants auparavant ne puisse de nouveau s’emparer de lui. Il regarda une brève seconde les hommes qui allaient tantôt mourir avec lui. Puis il détourna une fois encore la tête, dans un lent mouvement hypnotisé. La campagne était toujours la même. Dans un mois, le printemps sauverait du décharnement les quelques arbres qui auraient la chance, peut-être, d’être épargnés par les tirs de mortiers ou les bombardements.

L’officier eut envie d’une cigarette mais il savait que personne ici n’en avait plus guère. Il continua de garder le silence et de tourner le dos aux soldats assis par terre. Il toucha timidement son nez puis se mit machinalement à frotter la cicatrice, jusqu’à ce qu’une douleur apparaisse et devienne suffisamment vive pour arracher à ses yeux une ou deux larmes excessivement salées, dont il pensa furtivement qu’elles étaient le dernier vestige de sa raison d’être.

lundi 12 septembre 2011

Mother Expedition

C’était il y a presque 10 ans. Je ne pensais certainement pas comme je pense aujourd’hui. J’avançais dans un chemin plus distinct, plus défini, car les règles à l’époque se réclamaient davantage des nombreux fantasmes dans lesquels baignait ma vision de la réalité et de la « vraie vie » – chacun connait le sens de cette expression.

Ce fin voile de porcelaine blanche, bien que déjà fissuré de toutes parts, suffisait à ce que je voie et imagine différemment, globalement déterminé par cette gauche gymnastique de débutant. Une acrobatie pourtant bien moins vile et asservie que l’ayant cours, si savamment acquise, si compétitive et à ce point légitime qu’elle ne saurait être remise en cause.

Drôle d’entrée que celle-ci, dans un nouveau siècle à peine maîtrisé. Pourtant l’alibi à vivre autre chose, ou autrement, n’existait pas. Seul le vécu jouait le rôle du géniteur, finalement capable de décider avant toute autre chose de quoi demain serait fait, la bonne décision.

Mon frère et moi avions rendez-vous. Nous étions des justiciers. Il fallait sauver notre mère. Nous nous rejoignîmes sur l’autoroute et filâmes à toute berzingue vers Limoges, cette ville grise qui ne m’avait pas aimé.

Là-bas, avait déjà bien prospéré la bête, la vilaine histoire, celle qui nous enlevait notre maman, au fil des jours et des semaines où nous n’étions pas là pour lutter et nous opposer. L’ennemi était un ogre et sa toute perverse machinerie. Arrêter la mauvaise course, si possible en écorchant l’animal à l’os. Tel était notre saint graal, notre solennelle mission.

Nous étions au cœur d’un mois d’avril dont je ne garde qu’un vague souvenir d’ambiance,  « météorologiquement décevant ». Je me souviens être parti immédiatement après le travail, habillé comme ce cadre que je n’ai jamais été, pas même au fond de moi. Je portais une chemise rose foncé, j’avais assez fière allure et je voulais que ma mère me voie ainsi, qu’elle sache exactement à qui elle avait à faire.

Lorsque nous arrivâmes au 100, rue Casimir Ranson, il faisait nuit depuis longtemps, le fond de l’air était légèrement froid, principalement humide, cette fragrance déjà ressemblait trop à cette Haute-Vienne que j’avais tant connue. Un siècle auparavant.

Triste vérité, mais cela faisait un sacré moment que je n’avais pas vu ma mère, peut-être deux ans, peut-être un peu moins Après de brèves retrouvailles tronquées, où la joie ne parvint guère à dissimuler le malaise de notre discordance, maman me fit très vite pleurer à l’intérieur de moi. Elle était un être que je ne connaissais plus, transfiguré, exsangue, déraciné d’elle-même.

Au cœur de l’action, celle d’une trop véhémente diatribe, et tant la révolte m’emportait, je me mis presque à lui hurler dessus ; comme si je m’adressais à ce mauvais élève, du fond de la classe, qu’on ne supporte pas. Honte à moi, mais je lui fis la grande leçon, à ma mère, en fumant une ou deux cigarettes, depuis ces deux années que je ne fumais plus.
L’air était irrespirable, nous tenions bon, mon frère et moi, ma mère surtout, elle qui encaissait les coups en silence, interminablement. Pascal, à mes côtés, comme il me semblait que nous avions toujours été l’un au coté de l’autre, était moins loquace que moi mais il appuyait chacune de mes affirmations péremptoires et me donnait un courage qui trop de fois aurait pu me fuir et me laisser vide, alors à mon tour sans défense.

« Maman, je veux te sauver ! Maman, nous voulons te prendre à lui, l’infecte… »   Mais Maman n’entendait pas ces mots parce que nous ne savions pas les dire, parce que la rage n’est pas qu’une simple question d’injustice, mais aussi l’inévitable expression d’une limite qu’on sait tapie au fond de soi.

L’autre, l’infecte, « le crapaud » comme le désignait mes sœurs, celui par qui tout ce mal était venu, s’était expressément réfugié dans la chambre du haut, au moment même où nous avions décoché notre première flèche. Drapeau et fierté en berne, il disparut et laissa seule ma mère à son supplice. Nous ne le reverrions pas avant le lendemain matin. Ce n’était pas plus mal, car il était plus aisé de n’avoir que ma mère en face de nous, à martyriser, plus facile de lui dire à quel point sa vie semblait lui échapper, à quel point nous étions, nous, ses enfants, efficients à savoir et à connaître la bonne poursuite, la nécessaire reprise en main. Le juste remède et la justice et le jugement, et ses enfants tels qu’elle ne les avait jamais vus auparavant, unanimement en train d’écraser la seule justice possible.

Cela dura près de deux heures. Je nous épuisai tous, mon frère et ma mère plus sûrement encore que moi, sombre tableau d’une famille à la mine déconfite. Notre partage n’était plus que cela, une déconfiture haletée. A bout de souffle donc, le ventre malaxé par les coups, elle me dit : « Stop Olivier, arrête toi, je n’en peux plus ! Ça suffit maintenant. Pour ce soir, ça suffit ! »
Je la crus sur le champ et me sentis d’un coup si phénoménalement éreinté, que je ne vis pas toute la visqueuse matière, cette pourriture échappée de moi, alors que Pascal doucement se levait et me disait « Allez, viens Olivier, on va dans la cuisine, on va fumer un joint. »

Les particules assassinées, on les laissa par terre, le vaste trou que nous venions de creuser dans chacune de nos viscères.

Après cela, avant d’aller nous coucher, dans une tentative devenue presque incongrue, je pris ma mère dans les bras afin d’y chercher la chaleur et l’affection.  Mais comme je l’avais sans aucun doute bien mérité, je ressentis alors une peur effroyable. La peur d’un vide immense en elle, inconnu de moi, la peur immense d’un vide ressenti à mon encontre, ignorant bien sûr que je venais moi-même de l’engendrer.

Tout ce que je connaissais de la substance même de sa fibre de mère, dans tout l’amour dont nous nous étions toujours nourri et abreuvé, cette source là qui semblait jusqu’alors inépuisable, était tarie. C’était inconcevable, mais c’était là : un être mort à l’intérieur, qui me regardait pourtant dans les yeux, et cette fois-ci, sans faillir. Cette femme incroyable que nous appelions jadis Maman : « Hey, Maman, tu fumes un pet ? Hey, m’man, tu nous fais tes pâtes ?! »

Toujours là. Notre mère avait toujours été là pour nous. Dans nos moments les plus heureux comme les plus compliqués ou les plus douloureux. Avec son extravagance, sa coquetterie, ses quelques niaiseries, et la grande blessure de cet Homme, notre père, qui avait fini par la quitter, mais surtout investie de son inébranlable amour pour nous, ses quatre enfants, son sang, sa chair, son âme, comme elle aimait à nous le répéter, à juste raison. Elle nous avait tout donné, nous étions tous partis. Et mon père, si loin, si définitivement loin, devenu depuis tant d’années si inaccessible, il fallut bien qu’un autre prenne la place. Celui-là était celui que nous nommions « le crapaud », celui qui l’emmenait ailleurs, en des rêves de grandeur qui lui sauvaient la vie, puisqu’ils lui faisaient supporter le jour, le jour d’après, la suite, comme durant toute la vie qu’elle avait bâtie, elle en avait imaginée une autre. Celle qui s’était exactement dérobée sous ses pieds, à l’orée de ses 60 ans.

Aussi, ce soir là, il ne semblait plus demeurer d’elle que ce que nous n’aimions pas. Ce qui ne changeait au demeurant rien à l’affaire. Car les défauts d’une mère ne sont rien en comparaison de son amour. Pascal et moi allâmes nous coucher dans notre ancienne chambre, où nous avions jadis tant partagé. Nous étions désespérés. Totalement abasourdis.

Ce fut un film qui se joua le lendemain matin. Au réveil, ils avaient disparu et nous partîmes immédiatement à leur recherche. L’évènement se produisit  environ une heure plus tard, Place des Carmes, et je me vois encore me poster en plein milieu de la route, arrêter le véhicule d’un Claude médusé derrière le volant et, une fois assis à ses côtés, dans une voix qui ne tremblait aucunement, lui dire : « Tu sais ce qu’il va se passer maintenant, hein  Claude ? »
Une mâchoire distendue et un sans voix unanime plus tard, naquit en nous le sentiment inaugural d’exercer le droit des justes, le droit des fils, le droit de ne pas trop regarder dans le rétroviseur si une autre manière n’avait pas été possible.

Mais pour l’heure, je ramenai Claude à la maison, tandis que Pascal raccompagnait ma mère avec l’autre voiture.  Arrivés rue Casimir Ranson, on les mit dans le bureau et on donna des ordres : « On veut voir tous les papiers ! » Claude avait les mains qui tremblaient et une force neuve nous irradiait mon frère et moi, et débordait parce qu’enfin, depuis tout ce temps, on reprenait un peu les rennes. Les documents étaient vieux, dataient de bien trop longtemps pour donner du crédit à ses dires. Il n’y avait rien là sous nos yeux qui ressemblait de près ou de loin à des engagements prochains avec les télés françaises. Où sont vos rêves, monsieur ?!

Cette première victoire obtenue, et après une trêve dominicale consentie par tous, nous trainâmes dès le lundi matin ma mère à la banque, et la banquière fut encore plus horrible que nous. Elle humilia ma mère parce que ma mère avait perdu pieds, et ses finances avec. Comment combattre efficacement ce qui nous est cher ? On passa ensuite des heures aux impôts, pour apprendre ce que nous savions déjà. Le crapaud mentait, il mentait encore, et ne savait rien d’autre.

Entre temps, ma mère avait même fini par reprendre un peu de sa lucidité, et sa fierté originelle avait refait surface : « Vous savez que je ne me laisserai pas faire, les enfants ? » Elle vint nous voir au soir du deuxième jour et fit tout ce qu’elle pu, en quelques mots, en quelques phrases, pour nous prouver qu’elle était encore elle-même, et que la couleur un peu folle que nous avions donnée à notre expédition n’était pas justifiée.

Cette digression dura presque 3 jours. Au final, nous avions administré de violents coups à la bête et à sa perverse demeure, et celle-ci avait fini par sérieusement vaciller. Mais tout cela ne servit à rien.  Nous échouâmes, parce que le succès n’était pas possible. Parce que, au lieu de tuer la bête, nous la laissâmes vivre. On lui dit : « Tu as cinq jours pour apporter des preuves. » Mais cinq jours plus tard, nous ne serions plus là, et nous n’aurions pas creusé dans les bois ce trou que nous voulions pour lui.


De retour à Toulouse, la bête, que nous ne réussirions donc pas à terrasser, avait déjà pris une autre place. Elle avait migré en moi, venue sourdement se loger au fond des viscères.
Je pris une cuite mémorable avec Mike, et les potes. Un exutoire à la rage et l’impuissance.  Le petit « bouge » était situé non loin du chemin de fer, lancinant et grisé de la fureur des machines. La pièce était petite, le resto était le bar, le bar son meilleur ami. L’heure était venue. Nous bûmes des rhums bien plus que nous mangeâmes.

Je revis ce visage mort qui était celui de ma mère et qui me tuait. Je revis aussi le visage de cet ogre que j’avais épargné et je me mis à hurler, parmi les gens tout autour de moi. Car à la seconde où j’avais accompli ce noble acte de lâcheté, j’avais fait naître au fond de moi un monstre plus hideux encore, plus épouvantable, en cela que les traits de son visage n’étaient que ceux dessinés par notre échec. Notre insupportable échec de fils impuissants, qui, fatalement, ne réussiraient pas à sauver leur mère malgré elle.

L’ogre était là et il resterait. Mon frère et moi étions déjà repartis. Il avait de nouveau carte blanche. Et moi de nouveau seul, seulement Oliv au milieu des autres, pris dans la tenaille, la rage comme toujours devint la seule reconnaissance possible. Et la beuverie, la seule parade imaginable. Je bus, je bus et je bus encore. Jusqu’à pouvoir enfin laisser sortir ce cri rauque et interminable, jusqu’à ce que la bête ne soit plus une approximation pour les autres et surtout pas pour moi, jusqu’à ce que la lumière vrillée du misérable bar ne laisse sur moi plus une seule once, ni de lumière, ni d’obscurité. Egalé dans les deux sens, ombre et lumière pour une seule et même condition : être totalement désarmé.

Alors la femme, la très grosse femme dont je ne me rappelle rien, si ce n’est ses mains qui serraient mon visage, qui m’emmenaient sans cesse entre ses seins énormes, le gouffre de son décolleté sans fin, sa peau chaude et humide, l’odeur de l’alcool dans sa peau et ses veines et les miennes mêlées à la fureur, et son cri de femme pour contrer les cris de mon âme : « Laisse-toi faire, disait-elle, laisse-toi faire, en appuyant encore plus fort sur mes tempes. Je vais te sauver mon garçon, on va te le faire sortir le diable, on va le faire sortir de ta tête, le diable ! » Et c’était bien tout ce qui comptait alors…

mardi 6 septembre 2011

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi...

V1
Les bruits sont ceux des hommes autour de moi (je ne les distingue pas tous) tandis que la lumière crue et chaude m’est épargnée tant que je le décide (je suis loin et je suis proche)
Ce qui me convient est à partir d’une main ouverte (mes yeux, mon esprit ou encore ma main réelle) et n’est fait que de visions connues et sous-estimées (ce que la connaissance et l’instinct se partagent à chaque instant)

Alors que dira le temps qui passe tout près de moi si je ne m’active plus guère (immobile et serein) et que d’une minute à l’autre je m’assoupisse enfin (ce n’est qu’une excuse, chuuuuuut…) pour me réveiller tardif à l’heure où plus personne ne m’attendra ?
Le soir, la nuit tombante, les souffles éparpillés…

V2

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi. Je ne les distingue pas tous.
Ce qui me convient est à partir d’une main ouverte (mes yeux, mon esprit, ma main réelle)
Alors que dira le temps qui passe tout près de moi si je ne m’active plus guère (immobile et serein) et que d’une minute à l’autre je m’assoupisse enfin (ce n’est qu’une excuse, chuuuuuut…) pour me réveiller tardif à l’heure où plus personne ne m’attendra ?
Le soir, la nuit tombante, les souffles éparpillés…

V3

Je suis allongé à l'ombre d'un arbre, sur l’herbe tendre d’un parc, à Paris. Le printemps s’offre déjà sans restriction.
Déjà presque immobile, je regarde les proches alentours, dévisage discrètement les passants, détaille leur gestuelle, pour conclure illégalement sur leur caractère, leur mode de vie, leurs rêves…
Puis je ferme les yeux et j'écoute...
Après cinq  minutes demeuré les yeux clos, cultivant la sérénité dans l’immobilisme, je renoue avec la lumière. Saisissant feuille de papier et crayon, je jette un petit coup d’œil circulaire, ne m’attardant sur rien de précis, dans une seule manière de ré-envisager l’interaction qui me lie au Vivant  et à la Terre. Alors j'écris ça :

Les bruits sont ceux des hommes autour de moi.  Je ne les distingue pas tous…

Je fais partie du monde. Mais il me demeure incalculable…

samedi 3 septembre 2011

Au centre

Un beau type, d’un physique sans faille, bronze doucettement au bord de la piscine. Il tient mollement le poignet de sa femme, allongée à ses côtés. Il semble sobrement heureux, un air de sans rancune pour ce qui n’est pas advenu inscrit dans ses traits, un peu vieillis, seulement ridés aux coins des yeux par les inadvertances mensongères de sa propre vie, le parcours ténébreux des entourages et le souvenir finalement tangible des larmes passées. Celles-ci ont creusé les sillons d’une diplomatie d’usage, celle des grands hommes, celles de ceux qui ont compris. Car c’était bien çà l’enjeu.

Notre homme pourtant a mis du temps à se laisser convaincre. Tardivement, après bien d'autres, cela s’est tout de même produit. D’un coup, surprise émérite, un équilibre rompu sans vacillement préalable, une sensation diffusée à l’ensemble de son être en quelques secondes, alors suffisantes pour analyser le phénomène, tandis même qu’il survenait. Une pensée se formula brutalement en lui, distincte comme l’eau d’une pierre :  «La contenance disloquée de mon humanité ne fait pas de moi un être disloqué ; elle fait de moi un individu ergonomique, parvenu à l’équivalence des coups infligés, des rêves abattus et des retrouvailles avec le ciel. Abouti, affranchi, déculpabilisé de n’être qu’insuffisances.  Je ne suis que moi… Et il me semble que j’acquiesce enfin. » 

Il relâche la faible étreinte, tandis que la furtive souvenance s’enfuit. Les doigts libérés lui grattent la hanche en une espèce de manie estivale qui advient après le solstice, si le printemps s’est contenté d’être lui-même, décongestionnant. Que lui rappelle ce geste ? Qu’il n’a pas toujours été tranquillement allongé au bord d’une piscine rectangulaire, dans l’alternance d’une démangeaison de zones imputrescibles et d’une esquisse d’amour, entourant de sa main l’avant-bras ténu de la femme qui partage sa vie. 

Elle demeure à ses côtés, utilisant savamment et en silence le langage qu’il a lui-même créé. Sans lacune, elle lui raconte l’histoire écrite par lui, celle de ses amours impossibles qu’il a bien fallu faire taire, puisque ne subsistent aujourd’hui que les preuves multipliées de leur unanime déficience. La sagesse affective l’épargne et finalement, le nourrit plus durablement. Il la regarde dormir, ou peut-être somnoler, et se dit : «La juste configuration vient de l’amertume qu’on maîtrise jour après jour, échafaud du progrès véritable. L’exercice de style naît de cette prouesse ! Car il en faut de la persévérance pour survivre sans affaissement. Mon dos n’a de courbé que la colonne, imperceptible face au rythme endiablé de sérénades aujourd'hui enfuies, et qui ne résonnent plus guère.»

Il se lève, investi d’une exaspération nouvelle, encore indécelable pour elle, qui stagne, lézardée au sol. Deux pas, un pied tente l’eau moite, se rétracte et revient, plus courageux. Il plonge et mouille ses cigarettes. Il sort furieux, emmène sa querelle ailleurs, sans préciser...

Plus tard, elle vient le voir, lui qui n’est pas réapparu. Dans son seul geste d’approche, il sait qu’elle tentera dans une seconde de démontrer quelque chose qui n’existe pas complètement. Elle lui propose ses lèvres, qu’il suçote d’abord sans réel investissement, avant de s’y intéresser plus soigneusement. Après avoir fait l’amour -  ils n’ont d’enfants que dans les rêves de l’autre – il se désengage d’elle sans précipitation. Et de nouveau la main qui tente mais qui n’y parvient pas. La caresse, comme un doux leurre. Il allume une cigarette et regarde au delà de la fenêtre, un écran où les images qui défilent sont celles qu’il fait naître lui-même. Son errance imaginaire devient rempart face au vide, le protégeant de l’absence laissée par les mots qu’il ne pourra dire, à seule raison de ne pas les connaître au fond de lui.

Elle se lève maintenant et se dirige vers la salle d’eau. Il demeure seul dans le vaste salon aux baies vitrées, les yeux  n'ont pas quittés l’écran. La nuit tombée est belle et sèche. Il n’a bientôt plus besoin de faire venir des images ou d’inventer un quelconque scénario. Il se met sincèrement à espérer la pluie et plus follement ensuite, un orage d’été venant démettre les ténèbres.

Sur un air de déjà vu...

J'ai eu l'idée de créer un blog tout à l'heure, pendant le déjeuner. Ce n'est pas une idée de génie, loin s'en faut. Mon frère et ma sœur tiennent des blogs depuis une paire d'années déjà, et fidèle à leurs publications, je crois simplement que je commençais à vouloir également profiter d'une libre fenêtre d'expression. L'intention est plus louable si elle se concrétise,n'est ce pas ? 
Alors, allons-y, on verra bien ce que ça donne...